Alors que Johnny et Sylvie triomphent, ce fils de mareyeurs de la Trinité-sur-Mer au charme de crooner américain s'impose aussi. Ses chansons à la mélancolie romantique caracolent au sommet des hit-parades. Mais le succès ne dura qu'une décennie.
L' été 1964, quand Alain Barrière publie la chanson d'amour qui va devenir son tube le plus célèbre, le jeune homme ne le sait pas encore, mais ses paroles annoncent son existence chahutée, " un long chemin " fait d'allers-retours, de succès furtifs et de longues périodes de doute, d'échecs, de souffrance d'amour aussi avec Anièce. Ma vie racontait la sienne:
" Ma vie / J'en ai lu des toujours
/ Mavie / J'en ai vu des beaux jours /
/Je sais / Et j'y reviens toujours /
Je sais / Je crois trop en l'amour..."
Le public qui l'écoute grâce aux juke-box ou dans les discothèques ou elle fait un tabac ( trop longue, elle fut d'abord snobée par les radios), fait d'elle le tube de l'été et de l'automne. Le 45-tours se vendra à plus de 500 000 exemplaires en France. Une pêche miraculeuse pour le gamin de La Trinité-sur-Mer.
C'est dans cette ville du Morbihan qu'est né Louis Alain Bellec, le 18 Novembre 1935. Dernier d'une fratie de trois, il ne connaîtra jamais son père, architecte italien réputé, une des grandes souffrances de son existence. Il grandit donc auprès de sa maman, Marie-Louise, entre la criée et le petit commerce familial. Les temps sont durs, comme le travail du poisson, qui exige beaucoup mais rapporte peu. Le jeune Alain, déjà têtu et souvent solitaire, se tourne donc très tôt vers l'océan, face auquel il rêve de longs voyages pour fuir sa modeste condition.
Sa mère l'inscrit à l'école laïque de la Trinité, où il peine d'abord à s'intéresser aux cours, préférant la nature sauvage aux livres de classe. Mais une première rencontre va s'avérer décisive, celle d'un instituteur touché par ce gamin un peu rebelle. Illui donne patiemment le goût d'apprendre et d'aiguiser sa curiosité.. Et peu à peu, le petit Bellec devient un élève m dans sa chambre d'odèle et plus ouvert. Al'issue de ses études secondaires, le baccalauréat en poche, il va même intégrer l'Ecole nationale des ingénieurs des arts et métiers. Il a alors 20 ans. Il découvre à cette époque le jazz manouche de Django Reinhardt et se passionne pour la guitare, dont il achète un premier exemplaire.
La maladie va brutalement interrompre ses études...et lui ouvrir la voie de la musique. Les médecins lui diagnostiquent la tuberculose. Il doit enchaîner cures et postcures pour se soigner. Pour tuer le temps, il gratte ses premières compositions. L'élève ingénieur s'intéresse à la poésie, en particulier celle de Robert Desnos. Ces vers lui donnent l'envie d'écrire aussi ses premières paroles. Voici que les chansons d'Alain Bellec prennent forme dans sa chambre d'étudiant ou au sanatorium. Parmi elles, la plus aboutie s'intitule Cathy. Elle va lancer sa carrière. Sélectionnée en 1961 au concours de la radio Europe 1, le Coq d'or de la chanson française, le morceau lui offre l'occasion d'un premier passage à l'Olympia. Il a 26 ans et ne sait pas encore que le music-
hall va bientôt le consacrer. Il ne gagne pas, mais sa prestation tape dans l'oeil expert de Bruno Coquatrix, le patron des lieux, qui lui permet de signer son premier contrat discographique. Désormais, Louis Alain Bellec se fait appeler Alain Barrière. Il ne sera pas ingénieur, mais chanteur.