Ménie Grégoire

" Elle a libéré la parole des femmes "

A partir de 1967, la journaliste pionnière de la condition féminine lance  Allô Ménie sur RTL. Cette émission quotidienne pensée comme un rendez-vous dédié aux problèmes et aux questionnements des femmes, va connaître un succès considérable.

Cette fille d'architecte, née en 1919, au lendemain de la Grande Guerre, à Cholet, au sein d'une famille Vendéenne, bourgeoise et pieuse, est devenue la confesseuse laïque et radiophonique des Françaises ( et aussi de quelques Français ! ) à partir de 1967, à la cinquantaine. " Je suis arrivée parce que c'était le bon moment, dira-telle. Apartir de 1967, tout change pour les femmes. Jusque-là, elles n'avaient obtenu que le droit de vote... Le régime matrimonial leur était très défavorable, elles n'avaient pas de droits sur les enfants, le divorce était très difficile, il n'y avait pas encore de contraception. Aucune des révolutions de la vie des femmes n'était faite. " Alors Ménie a pris le micro pour libérer la parole de Françaises " prisonnières " de leur foyer et d'un carcan social oppressant.

Comme un symbole annonciateur, Marie Laurentin a songé dès sa toute petite enfance à changer de prénom. 

" Marie pour moi contenait probablement pour moi un lourd bagage chrétien, classique, et bourgeois ". Expliquera-t-elle. Bagage dont elle a voulu s'extraire en choisissant le prénom Ménie. Après le bac, elle obtient une licence d'histoire et suit en parallèle des études d'égyptologie à Paris. A 24 ans, elle se marie avec Roger Grégoire, professeur à Sciences-Po, puis conseiller d'Etat, avec lequel elle aura trois filles, Eve, Isabelle et Nathalie. Une fois la petite dernière scolarisée, elle intègre la rédaction exclusivement masculine de la revue " Esprit ". Là, elle porte la voix d'un féminisme modéré, qui défend l'égalité des sexes, et participe ainsi aux numéros consacrés aux femmes, en particulier celui intitulé " La femme au travail ". Ménie Grégoire écrit aussi pour les magazines  Marie Claire et Elle. se concentrant sur les thématiques du travail et de la contraception, faisant découvrir en France la pilule, d'origine américaine. En 1964, elle publie un premier ouvrage intitulé Le Métier de femme, qui la révèle au grand public. Elle y revendique une révolution juridique, sociale et surtout mentale qu'appelait la condition féminine ".

Elle va finalement devenir une voix de cette révolution  sur l'antenne de RTL.

En 1967, son directeur Jean Farran, qui veut instaurer de l'interactivité avec les auditeurs, et en particulier les auditrices, s'adresse à Ménie Grégoire. " Quand on a proposé à ma grand-mère d'avoir sa propre émission, il était question que ce soit le soir, parce que les femmes ont fini leurs activités domestiques, donc elles sont tranquilles ", s'est souvenue sa petite-fille Adèle Bréau, autrice de l'heure des femmes (JC Lattès, 2023). Elle a insisté pour que ce soit l'après-midi, quand les hommes sont au travail et les enfants à l'école. Sinon comment auraient-t-elles pu s'exprimer librement ? " Car Allô Ménie, qui battra un record de longévité en restant à l'antenne jusqu'en 1981, est pensée avant tout par la journaliste comme un espace de libération de la parole des femmes (90% de l'auditoire), à une époque ou elles étaient isolées, confinées chez elles. On appelle Ménie en direct ou bien on lui écrit des lettres - " Le lendemain de la première émission, il y en avait déjà cent ! "

Durant ces quatorze ans d'antenne, elle en recevra 100 000 ( elle ne répondait jamais par écrit, mais au micro ). La parole, toujours la parole, pour évoquer toutes les questions de l'intime, dans une France encore sclérosée par les tabous : le couple, la sexualité, le monde du travail. " Le jour où les femmes ont compris en s'entre-écoutant qu'elles étaient toutes pareilles, qu'elles vivaient un vrai changement, elles se sont donné le droit d'être ce qu'elles étaient au lieu dêtre paralysées ".

Le succès d'Allô Ménie est historique. " J'avais une responsabilité terrible, je ne parlai pas seulement à l'auditrice ou l'auditeur, mais à 2 millions de personnes qui étaient suceptibles de s'identifier...", se souviendra celle qu'on surnommait la Dame de coeur.

Sa récompense aura été la fidèlité de ses auditeurs et leurs milliers de témoignages de remerciement. Une de ses appelantes confiera : Allô Ménie est un baume une de mes meilleures joies de la journée, un moment où l'on s'oublie pour fraterniser avec les autres êtres humains ". Cette pionnière s'est éteinte en 2014, à 95 ans.

   .../...