Très tôt j'ai pris des cours de danse chez les soeurs Ambrosini, dont le père était maître de ballet du théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. Louise était au piano, Léon au bâton, un vrai, avec lequel elle nous tapait les mollets quand on ne levait pas les jambes assez haut. Une façon de nous apprendre la discipline. On ne se plaignait pas, car on savait qu'on méritait ces coups. La Danse c'est l'école de la vie. Petite fille je ne tenais pas en place, sauf quand maman me laissait dans l'atelier de menuiserie de papa pour aller au marché. Les copeaux de bois c'est le parfum de mon enfance. Papa était un homme très doux et ma mère, une forte femme. Les soeurs Ambrosini et mes parents m'ont appris le sens du travail, Indispensable pour entrer dans la vie.
J'avais 11 ans lorsque la guerre a éclaté. Nous vivions en face d'une usine de chocolat désaffectée dans laquelle s'étaient installés des soldats allemands. Maman ouvrait les fenêtres et chantait en anglais, pendant que mon père disait " Arrête, Maria, si jamais ils comprennent ce que tu chantes, on va avoir des ennuis". C'était sa façon à elle de résister. Elle mesurait un mètre cinquante, mais c'était un sacré numéro.
Et puis un jour, les soldats anglais et américains sont arrivés et ça a été fabuleux. J'avais 16 ans et je participais à des radiocrochets. J'en ai gagné certains, mais le plus important pour moi, c'était le contact direct. Je n'ai fait que ça toute ma vie, aller au charbon pour gagner l'amour du public.
J'avais 22 ou 23 ans, je faisais un minirécital dans une brasserie en Belgique et j'ai remarqué un spectateur, le copain d'un serveur. Il travaillait dans le bâtiment. Je suis tombée amoureuse de cet homme à l'air sérieux, il détonait avec les danseurs et musiciens que je côtoyais. Monsieur Bruno est devenu mon mari, le seul homme de ma vie ! Il ne connaissait rien à notre métier, nous prenait pour des fous, mais il avait le sens populaire. Nous avons formé un couple magnifique pendant trente ans ! Nous avons fait des milliers de kilomètres tous les deux, en voiture, à parler, à rire. Et notre grand plaisir, c'était de passer une soirée en tête à tête. Il n'était pas attiré par le showbiz, et moi, les paillettes, je les portais sur scène, c'est tout. Il était mon mari, mon conseiller, mon meilleur copain.