Sympathique, par contre cette façon qu'il eut un jour de sauter sur la scène pour attirer l'attention du public, en hurlant comme un loup de chasse. Adix-sept ans Jimmy Dean participe à plusieurs concours organisés par une " Association d'encouragement à l'art oratoire ." Il y donne un texte tiré des " Aventures de Monsieur Pickwick " de Dickens, intitulé " Le fou ". Son interprétation n'a rien de conventionnel. Au contraire de ses camarades, en costume et cravate, il apparaît en jean et tee-shirt, et s'applique à avoir l'air d'un fou... Le public compassé de la petite ville ne saisira pas bien la subtilité de son interprétation, et il n'obtiendra pas le 1er prix, loin de là, mais comme en sport, " l'essentiel est de participé ". Jimmy va quitter le monde son adolescence à la ferme, le pasteur, les camarades d'école, sa tante, son oncle et sa grand-mère, tout le jolie confort de la ferme de Fairmount.
Comme tout bon américain, il s'en va vers l'ouest, vers la Californie, dans l'intention d'y étudier sérieusement l'art dramatique. Ce qui n'est pas tout à fait le désir de son père, qu'il va retrouver à Santa Monica. Jimmy et son père n'ont pas véritablement d'atomes crochus. Le fait que ce dernier se soit remarié n'arrange sûrement pas les choses. Le fait qu'il veuille inscrire son fils au Santa Monica College, pour y apprendre le commerce, l'enseignement, et la culture physique, complique leurs rapports. Pourtant le jeune homme n'affronte pas son père, comme on aurait pu le craindre. D'ailleurs il est dur d'affronter un homme comme Winston Dean. Doux, réservé,, lent, tout le contraire d'un violent, le père tente de séduire le fils en lui offrant une Chevrolet, mais le fils fait semblant d'écouter les bons conseils, s'inscrit au Collège, et se dépêche de participer aux activités d'une petite troupe de théâtre locale. " Il ménage la chèvre le le chou" comme on dit...Pour avoir la paix, et faire plaisir à son père, il est premier en gymnastique à la fin de sa première année de collège, cela fait, il quitte la ville et s'intègre à un club d'étudiants en art dramatique., l' "Ucla", où il obtiendra son premier vrai rôle dans " Macbeth ".On le juge mauvais, il s'en va, et gagne provisoirement sa vie dans les films publicitaires, puis il interprète le rôle de l'apôtre Jean dans une émission de télévision.
Désormais le fauve est lâché dans Hollywood. Comme d'autres acteurs aux dents longues, Jimmy habite une petite chambre sous les toîts, se nourrit d'imprévus et de hot dogs, et court le cachet du matin au soir. Mais c'est un fauve solitaire. Il a un ami qui partage sa chambre, et une petite amie qui veut partager son coeur. Tout cela en apparence. En réalité James Dean est un garçon seul, et il quittera l'une et l'autre. Qui peu dire ce qu'il a dans la tête à vingt ans ...celui qui va devenir le symbole américain et même européen de l'adolescence bouillonnante des années 50, celui qui est encore et toujours le "héros" de la génération actuelle, une génération qui pourtant ne sait pas grand-chose de lui ?
Mais la magie est là. Quelle magie ? Celle des cheveux blonds, blonds et hérissés, celle du regard bleu impénétrable à force de rêve et de myopie...celle de la bouche sensuelle et mordante, de la démarche insolite, des gestes hésitants, magie diffuse et impalpable de l'adolescent aux allures d'androgyne, ou de chien battu, de héros malheureux en lutte perpétuelle avec une société qui ne lui plaît pas, mais dont il voudrait bien faire partie tout de même...
Trois films seulement vont entériner cette magie, et le porter aux nues d'un immense public, au grand étonnement des producteurs et des professionnels du cinéma américain. Toutes les thèses du monde à ce sujet n'y peuvent rien. Certes, la mort a édifié le mythe. Cette mort brutale, violente, en pleine vitesse, à vingt-cinq ans, fera de James Dean une sorte d'ange arrêté en plein vol, en qui toute la jeunesse des années 50 va se reconnaître.
Son premier film, a " l'est d'Eden " permet à James Dean, sous le direction d'Elia Kazan, une performance remarquable. Mais il ne s'agit pas de miracle, ou de simple chance, ou de rencontre inespérée entre l'acteur et le personnage qu'il incarne. Il y a beaucoup plus. Et il faut rendre à James Dean, l'acteur, ce qui lui appartient en propre.
Sous des apparences de nonchalance, de non-conformisme, voir de maniérisme, comme diront certains critiques il y a un travail profond. En quittant la Californie, ou il se sent mal à l'aise au milieu de la jeunesse dorée, le comédien débutant est attiré la la fameuse école New-yorkaise révolutionnaire de l'Actor's Studio. Il ne fréquentera le Stdio que fort peu, mais suffisamment pour s'imprégner des nouvelles méthodes de travail offertes aux acteurs.
Finies les grimaces classiques et les sourires couleur bonbon des stars hollywoodiennes. A l'Actor's Studio, on apprend à jouer avec son corps, avec ses dents, avec ses nerfs, à utiliser l'observation des autres, la concentration sur un personnage, on apprend à devenir celui ou celle que l'on veut incarner. Si l'on veut jouer comme un rat, ou un renard, comme un chat ou une grenouille, il faut apprendre. Si l'on veut être un balayeur des rues,un gros bourgeois, un alcoolique ou un dévoyé, il faut apprendre. Fouiller, deviner, creuser physiquement dans tout son être, pour en extirper la moelle essentielle. Jimmy a vite compris. Toutes ses biographies racontent la scène qu'il présenta à l'Actor's Studio pour y être admis.
La scène avait été écrite par Christine White, une jeune actrice blonde, désireuse elle aussi d'entrer dans le saints des saints du cinéma New-yorkais. Elle y incarnait une petite fille du Sud trés frivole et très snob. Son partenaire, un intellectuel brouillon. Tout deux devant se rencontrer sur une plage et sous les étoiles.
James Dean est mort de tract ce jour-là, l a bu de la bière pour se donner du courage et, sans lunettes, il ne voit même pas à deux mètres de lui. Ce devrait être un fiasco,,c'est une réussite. Il se tient dans l'ombre au début de la scène, et se tait. Déconcertée sa partenaire avance en pleine lumière et attend elle aussi, dans le silence la pièce, sans le regarder. Alors Jimmy dit : "Salut", ce qui n'état pas dans le texte, et rit, ce qui n'était pas prévu non plus.
Pour le reste sa diction est parfaite, et sur cent cinquante candidats, Jimmy et Christine seront les seuls sélectionnés. Peut-être à cause de cet imprévu qu'il mettra toujours dans son jeu, comme un vieux comédien retorspeut se le permettre après des années de carrière, en "tirant la couverture à lui" et en obligeant le spectateur à ne regarder que dans sa direction dès les premières secondes. C'est un art que James Dean va cultiver à outrance jusque dans la vie, et que certains de ses proches jugeront insupportable. Mais c'est aussi une preuve de talent, et un besoin de participer à la mise en scène, de fabriquer son personnage, de lui apporter l'insolite, le vivant, le naturel déconcertant non prévu au scénario.
Tout ira bien pour James Dean en ce domaine durant le tournage de " A l'est d'Eden ", avec Kazan. Tout ira bien aussi dans " La fureur de vivre " de Nicolas Ray, mais tout ira moins bien dans " Géant " de Georges Stevens. A l'inverse des deux précédents qui ont laissé à Dean la bride sur le cou,Georges Stevens est un réalisateur autoritaire et méticuleux, qui estime que son scénario et ses personnages définitivement construits avant le tournage. Les acteurs n'ont qu'à s'y installer et suivre ses ordres...