Tout ce qu'elle a fait dans sa vie, dit-elle, lui est arrivé " par accident, et très souvent par amour ". Mademoiselle Keller a donc eu de la chance au jeu et en amour. Quel heureux hasard ! Avant le premier
" accident ", Marthe, née en pays neutre, à Bâle, trois mois avant l'armistice de 1945, est portée par un désir, " le seul que j'ai vraiment eu dans ma vie " , dit-elle : devenir ballerine. A 7 ans, en enchaîne les entrechats de PROKOFIEV et de STRAVENSKI. Elle adopte très tôt ce port gracieux qu'elle affiche aujourd'hui encore, à 75 ans.
La danse classique est une ambition et une évasion. En suisse, au bord du Rhin et à côté de la France, qui plus tard la révèlera au monde, la petite fille s'ennuie ferme: " J'ai beaucoup souffert de mon enfance à Bâle, où ma seule occupation était de regarder les gens par le fenêtre " se souvient elle. Son papa, entraîneur de chevaux, a quitté l'Allemagne dès 1933, alors qu'Adolf Hitler venait d'être nommé chancelier. Passeport en poche, il rejoint la Confédération helvétique à vélo. " J'en suis très fière: peu de non-juifs ont, à son image, refusé le nazisme ", confie l'actrice capable de jouer en quatre langue, allemand, français, italien et anglais. " Soit prête à partir en permanence, ton passeport, c'est plus important que l'argent ", lui lance un jour son père. Elle n'a jamais cessé, depuis, de chérir sa liberté, " dépendante de son indépendance ", selon ses propres mots. Al'adolescence la jeune danseuse s'installe à Berlin-Ouest, avec tutu et pointes. Son appartement sinistre et glacial est au pied du mur. Chaque matin, elle le franchit grâce à son passeport suisse pour suivre, côté Est, les cours d'une compagnie aux méthodes quasi militaires. Mais son rêve de ballerine va se fracturer sur une piste de ski.
A 16 ans, elle se brise le ménisque. Son tout premier accident " heureux " . Puisque la danse se refuse à elle, Marthe la timide se lance à corps perdu dans des cours de théâtre à Berlin. C'est là que le célèbre Philippe de Broca, qui cherche l'héroïne de son prochain film, la découvre dans une version allemande du Songe d'une nuit d'été. Le réalisateur français de Cartouche et l'homme de Rio convainc l'apprenti comédienne de le suivre à Paris, où il va tourner Le diable par la queue avec Yves Montand, Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort. Quelle affiche ! Comme elle ne parle pas encore français, la jeune femme apprend ses dialogues en phonétique, pour camper avec délice Amélie, une baronne tête à claques.