Mais qui est-elle cette beauté ravissante, dont les immenses yeux verts fascinent tous ceux qu'elle rencontre ?
C'est un modèle de gentillesse, de courtoisie, et de bonne éducation. Enfant, on lui a toujours appris qu'il était plus important de faire plaisir aux autres qu'à soit même. De l'enfance, elle a gardé ce visage de poupée sage et tendre, cette bouche câline, ce teint merveilleux de pureté, que seul dément le regard. Ce regard est intense, ardent il forme dans ce visage aux rondeurs encore enfantines un violent contraste, et donne au personnage une ambiguïté passionnelle. Vivien est capable de déclarer à ses amis: "Moi, si le prince de Galles me le demandait, je serai sa maîtresse."
Elle a épousé le sage Leigh Holman, et rêve en secret d'un prince de légende. A cette époque , Laurence Olivier, avec son regard d'acteur shakespearien, représente parfaitement l'image du prince des rêves de Vivien.
A-t-elle dit, ou n'a-t-elle pas dit: "Un jour, je l'épouserai ". En tout cas, il ignore encore qu'il a été choisi par une jeune actrice rencontrée une fois au cours d'un déjeuner au Savoy. Il est marié, le public le considère comme le jeune premier en vogue, les femmes papillonnent autour de lui, sans qu'il leur prête le moindre regard, et son épouse est considérée comme la plus belle actrice d'Angleterre. Les dés du destin viennent de rouler brutalement sous le regard perçant de Laurence et il les ramasse avec décision.
Vivien et lui déjeuneront ensemble, il va la persuader de jouer du classique, pour lui le cinéma n'est qu'un art de complément, superficiel, et tout juste bon à payer son loyer quand les finances sont en baisse. Vivien auditionne pour le rôle de la reine dans " Richard II ", devant un unique spectateur : lui. Les autres ne comptent pas. C'est devant lui qu'elle s'agenouille, pour lui qu'elle déclame, vers lui qu'elle tend son merveilleux visage, avide et passionné.
Plus tard elle dira : " Si tout était à refaire, si je devais le rencontrer de nouveau dans une nouvelle vie, je tomberai amoureuse de la même façon, et s'il le fallait, c'est moi qui lui ferait la cour. " Ce qu'elle a probablement fait d'ailleurs dans la réalité.
Dévorée de passion, Vivien mène et mènera toujours une vie au dessus de ses forces. Cette toux qui ne la quitte pas pendant le tournage de " L'invincible Armada ", leur premier film ensemble, elle ne veut pas en tenir compte. Et pourtant c'est le début d'une maladie qui va la ronger corps et âme : la tuberculose. Elle la refuse et l'ignore. Elle fume trop, s'agite, dort à peine quelques heures par nuit, et s'effondre en cachette, lorsqu'elle apprend que la femme de Laurence est enceinte.
A la naissance de Tarquin, le fils de Gill Esmond et de Laurence, elle tombe malade à nouveau. Pourtant Laurence ne la quitte plus. Il est envouté par cette nature ardente et passionnée qui le déconcerte. Tantôt faible faible et douce, tantôt fière et exigeante,, rageuse ou drôle, Vivien est un personnage difficile à cerner.
Il en tombe amoureux à Capri, au cours d'un voyage irréparable, et c'est après la consécration de cet amour adultère, mais fou, que Vivien lit le livre de Margaret Mitchell, " Autant en emporte le vent ", et décide aussitôt que Scarlett, c'est elle ! Ce en quoi elle ne se trompe pas. Mais comment une jeune actrice anglaise, de talent certes, mais parfaitement inconnue aux Etats-Unis, peut-elle briguer un pareil rôle ?
Selznick, le célèbre producteur, vient d'acheter les droits du livre. Déjà la crème des stars Hollywoodiennes est sur les rangs. L'affaire dure depuis plus de deux ans. Le découpage a été long, le film sera monumental mais, à quelques mois du premier tour de manivelle, la Scarlett idéale n'a pas encore été choisie. Paulette Godard, Joan Fontaine, Susan Hayward, Norma Shaerer, Lana Turner, Loretta Young, Joan Crawford, Katherine Hepburn, et même la terrible Bette Davis, ont été pressenties. Des agents de la production ont fouillé les Etats du Sud à la recherche d'une illustre inconnue qui ressemble à la description de Margarett Mitchell, sans résultat.
Vivien réussit à convaincre son agent de Londres de télégraphier à Selznick et de lui envoyer une copie du film " L'invincible Armada ". La réponse est décourageante, bien que mitigée. Selznick répond : " Suggestion ne m'emballe pas. J'ai peut-être tort, mais je ne l'ai jamais vu. Je visionnerai le film, nous reparlerons alors de miss Leigh.
Il faut comprendre que les intérêts sont énormes autour de cette production. La MGM a prêté Clark Gable et investi plus d'un million de dollars dans la production. Elle est donc en droit d'espérer que le choix de la vedette féminine se fera sour son propre cheptel de stars, et a proposé, pour Scarlett, Joan Crawford. Mais Selznick n'est pas convaincu par la froideur pâle et musclée de l'actrice qui ne correspond pas au personnage de l'auteur. Il cherche encore en perfectionniste, celle qui saura être la jeune fille brillante et avide, amoureuse et jalouse, forte et faible, et sûr de sa beauté. Celle qui fera contraste et complicité avec Gable, ce rustre élégant, cet aventurier sans complexe. Il lui faut l'incarnation du Sud américain, en une femme... Il lui faut une taille de 52 centimètres, une élégance raffinée jusque dans la misère et les désordres de la guerre de Sécession. Il lui faut la perle rare, celle qui sera digne des quatre millions et demi de dollars engagés sur le best-seller le plus célèbre d'Amérique.
D'où viendra la chance pour Vivien Leigh ?
D'une proposition faite à Laurence Olivier de tourner " Les Hauts-de-Hurlevent " de William Wyler. Bien que réticent, car déçu par une première expédition aux Etats-Unis, Laurence Olivier accepte le rôle. Il espère imposer Vivien dans le rôle principal. Il n'y arrivera pas, et le tournage aura lieu dans des conditions difficiles, Vivien se sentant seule à Londres et plus désemparée que jamais. Tout commence mal.
Rien ne va dans sa vie. Son mariage rompu officieusement la remplit de remords. Ses parents la supplient de revenir à une vie plus calme et plus décente. Les rôles qu'on lui propose n'ont pas la saveur délicieuse du personnage de Scarlett dont elle rêve jour et nuit., lisant et relisant l'énorme livre de Margaret Mitchell avec fébrilité.
Sur un coup de tête, elle embarque pour les Etats-Unis, rejoint Laurence à Hollywwood, et s'acharne à rencontrer David Selznick. Elle veut, elle aussi, faire un test.
Georges Cukor, le metteur en scène, n'est pas convaincu à l'avance, il a vu Vivien dans deux films, et la trouve un peu raide, un peu maigre mais Selznick, en la voyant apparaître, a le souffle coupé.
Il est en train de tourner le premier extérieur, le grand incendie d'Atlantan la scène célèbre du film, et il n'a toujours pas sa Scarlett.
Or, la voici, dans la nuit et le vent, dans la lueur des flammes, elle accompagne le propre frère de David Selznick, Myron, qui se trouve être l'agent de Laurence Olivier aux Etats-Unis. La vision est étonnante. Vivien a ôté son chapeau et libéré ses magnifiques cheveux châtains, la lueur de l'incendie se reflète dans ses yeux verts... Ell a déjà presque gagné.
David Selznick écrira plus tard à sa femme : Jamais je n'ai été aussi excité... Elle est formidable, c'est Scarlett en personne.
Les tests devaient le confirmer. Sans aucun effort, malgré son accent anglais qui n'avait rien de commun avec celui du Sud des Etats-Unis, et que réclamait le personnage, Vivien est formidable dans la première scène qui lui sert de bout d'essai. Le monde entier désormais va l'identifier à Scarlett O'Hara, et Margaret Mitchell, l'auteur reconnaîtra elle même sur le visage de Vivien, ce qu'elle avait écrit du visage de Scarlett : " Son visage était très doux et sage mais le regard, vert ardent et avide, démentait la gravité de son maintien ".
Rarement un personnage de roman aura trouvé copie si conforme et si parfaite.